Les frères LACROIX et la Révolution française !

   Aujourd’hui, remontons le temps jusqu’à la Révolution française avec la fratrie LACROIX de mon ancêtre Jacques, mon Sosa 148 (1). Il est l’aîné de six garçons qui malheureusement ne vivront pour la plupart pas très vieux, comme vous pourrez le découvrir par la suite. Il est question ici des fils de mon six fois arrière-grand-père, Jacques LACROIX, mon Sosa 296, et de son épouse Françoise TOURET, ma Sosa 297.
   Mais avant de vous conter l’histoire des frères LACROIX, ne perdons pas les bonnes habitudes, voici un petit schéma qui vous aidera à suivre tout ce petit monde.

   Commençons par René LACROIX, 4ème de la fratrie. Il naît le 10 août 1755 à La Fosse-de-Tigné (Maine-et-Loire), et décède, dans cette même commune, seulement 26 ans plus tard, le 27 avril 1782, bien avant la Révolution française.

« Le vingt huit d’avril mil sept cent quatre vingt
deux a été inhumé dans le cimetière de ce lieu le corps
de René Lacroix décédé d’hier âgé d’environ vingt
cinq ans fils de défunts Jacques La croix et de Françoise
Touret son épouse, présens à la sépulture Jacques, Jean,
François, Michel et Charles Lacroix ses cinq frères, François
et Louis Turpeau ses cousins germains de Montilliers, René Boutin
son cousin et son parain, et autres de cette paroisse, tous ont déclaré
ne savoir signer fors [sauf] le soussigné J. Lacroix
M[onseigneur] Reyneau curé de la Fosse près Tigny. »

   Sans doute à cause de son jeune âge, René meurt célibataire et sans descendance connue.

Actes de décès de René LACROIX.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – La Fosse-de-Tigné – Baptêmes, mariage, sépultures – 1751 / 1790 – non coté – vue 149 sur 188)

   Passons maintenant à Charles LACROIX, le petit dernier des six frères. Il naît le 20 novembre 1759 à La Fosse-de-Tigné. Il épouse Marie Jeanne LACROIX au début de la Révolution française, en 1789. Malgré leur homonymie, aucun lien de parenté n’est mentionné dans l’acte de mariage des deux époux, et pour cause, c’est un document d’état civil et non religieux. Toutefois, cette particularité reste à étudier lors d’une prochaine enquête.
    Ils n’auront qu’une fille, Marie Catherine, en 1790, avant que Charles ne décède le 7 octobre 1793 :

« aujourd’hui septième jour d’octobre mil sept
cent quatre-vingt-treize l’an second de la
république française par devant moy J Cordier
membre du conseil général de la commune de la Fosse
département de Mayenne et Loire et la pour derige [rédiger]
les actes de naissance mariage et décès des citoyens
sont comparus Antoine Chauveau laboureur
assisté de Joseph Cordier et Jean Bodit du canton de
Marmande lequel m’a déclaré que Charle Lacroix
est mort âgé de trente-quatre ans vivant époux
de Marie Lacroix d’après cette déclaration et
assuré du décès du susdit j’en ay dressé acte
et le déclarant ainsi que les témoins ont dit
ne scavoir signé fors [sauf] les soussigné
J Cordier membre du conselle. »

   Charles n’a alors que 34 ans, mais sa mort ne semble pas liée aux évènements historiques de l’époque.

Actes de décès de Charles LACROIX.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – La Fosse-de-Tigné – Naissances, mariage, décès – 1793 / An VIII – 6E142/4 – vue 13 sur 70)

   Avant de passer à un autre frère, arrêtons nous sur une petite bizarrerie de l’acte précédent où il est question du département de Mayenne-et-Loire, et non de Maine-et-Loire.
   C’est au début de la Révolution française, en 1790, que les départements ont été créés. Pour le choix de leur dénomination, des considérations géographiques ont été préférées aux historiques, c’est pour cette raison qu’il ne fût pas question du département d’Anjou, nom de l’ancienne province.
   Mais à l’époque une incertitude subsiste au sujet du nom de la rivière traversant Angers, en témoigne le document présenté ici, où la seule rivière nommée est la Mayenne et non la Maine. En réalité, cette dernière est constituée des rivières Mayenne et Sarthe se rejoignant à l’entrée nord de la ville, et c’est bien elle qui baigne la capitale angevine.
   Du fait de ce doute, le département, qui par un premier décret devait prendre le nom de Maine-et-Loire, se nomme par un second Mayenne-et-Loire, avant de reprendre par une proclamation du roi son nom d’origine Maine-et-Loire. Tout ceci fait que les deux noms ont coexisté dans les documents officiels près de quatre années, de 1790 à 1794. (2)

Angers capitale d’Anjou.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – collection iconographique – Communes – Angers – cote 11Fi0513 – vue 1 sur 1)

   Revenons maintenant à notre fratrie avec Jean LACROIX. Il voit le jour le 4 avril 1750 à La Fosse-de-Tigné. Il épouse Marie GASCHET le 13 février 1783 à Cernusson. Mais ensuite aucune trace de descendance n’existe dans cette commune ou celles alentours. Dernière mention trouvée au sujet du couple, le décès de Marie le 28 février 1809 à Cernusson, elle est alors veuve. Pour ce qui est de Jean, sa mort reste à ce jour une énigme : il n’apparaît pas dans les listes disponibles de décès ou de successions du canton de Vihiers. A-t-il été emporté dans le tumulte de la Révolution française ? Lui peut-être pas, mais les trois autres frères, dont je vais vous parler maintenant, n’y ont pas échappé !

   Michel LACROIX naît le 20 octobre 1757 à La Fosse-de-Tigné. Il se marie le 17 juillet 1787 à Tancoigné avec Marie SUROT. Leur union donnera naissance à Charles en 1788 et à Marie en 1790. C’est grâce aux actes de mariage de chacun de ses deux enfants que l’on connait l’année et le lieu du décès de Michel.

   C’est Charles LACROIX qui se marie en premier avec Louise GUÉRIN, le 9 août 1815 à Nueil-sur-Layon, anciennement appelé Nueil-sous-Passavant.


« [ ] ont comparus Charles Michel Lacroix, domestique
domicilié de cette commune, né en La Fosse en ce
département le seize juin mil sept cent quatre
vingt-huit, fils majeur de feu Michel Lacroix
en son vivant journallier, mort au Coudray
Montbault commune de S[aint] Hilaire du Bois
dans l’année mil sept cent quatre vingt treize, et

de Marie Surot [ ] »

Acte de mariage de Charles LACROIX et Louise GUÉRIN.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – Nueil-sur-Layon – Naissances, mariage, décès – 1813 / 1822 – 6E232/9 – vue 104 sur 367, acte n°12)

   Trois ans plus tard, Marie LACROIX épouse François GRELIER, le 8 octobre 1818, également à Nueil-sur-Layon.

« [ ] et de Marie Perrinne Lacroix
domiciliée de cette commune née à la Fosse près Tigné
en ce département le onze mars mil sept cent quatre
vingt dix fille majeure de feu Michele Lacroix
en son vivant journallier, mort au Coudray Montbault
commune de S[ain]t Hilaire du Bois dans l’année mil sept
cent quatre-vingt-treize et de Marie Surot [ ] »

Acte de mariage de Marie LACROIX et François GRELIER.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – Nueil-sur-Layon – Naissances, mariage, décès – 1813 / 1822 – 6E232/9 – vue 209 sur 367, acte n°8)

   Le Coudray-Montbault, lieu-dit de Saint-Hilaire-du-Bois, se situe sur la route entre Vihiers et Coron, deux communes théâtres de nombreuses batailles des guerres de Vendée en 1793 : trois eurent lieu à Coron les 16 mars (3), 9-11 avril (4) et 18 septembre (5), une à Vihiers le 18 juillet (6).

   Les mentions dans les actes de mariage de ses enfants laissent à penser que Michel LACROIX aurait pu perdre la vie pendant l’un de ces combats, à seulement 36 ans. Si tel fut le cas, rien ne permet de savoir à quelle troupe il aurait pu appartenir, républicains ou armée catholique et royale (7).

Extrait de la carte de Cassini – Coudray-Montbault, commune de Saint-Hilaire-du-Bois, entre Coron et Vihiers.
(Carte de Cassini – Coudray-Montbault – site Géoportail)

   Les choses sont par contre un peu plus claires pour François LACROIX. François naît le 16 mai 1753 à La Fosse-de-Tigné. Il épouse, le 21 juin 1784 à Tigné, Françoise FROGER. Ils auront deux enfants, Charles en 1787 et Françoise en 1789, et c’est là aussi grâce aux mariages de ceux-ci que nous saurons comment est mort leur père.

   Le 31 mai 1814 à Joué-Étiau, Françoise LACROIX se marie avec Jean Pierre JAMIN.

« [ ] et de Françoise Catherine LACROIX demeurant en qualité de domestique en cette commune de Joué âgée
de vingt-quatre ans et six mois et quatre jours, née en la commune de Tigné, arrondissement de Saumur
le vingt-cinq novembre mil sept cent quatre-vingt-neuf, comme il est constaté par extrait en datte du huit
mai dernier signé M Châlon adjoint.
fille majeur du défunt François Lacroix en son vivant journalier décédé il y a environ dix huit
ans au temps de la Guerre de la Vendée, les témoins ici présent nous ont déclaré ignorer le dernier domicile

du défunt et de Françoise Froger [ ] »

Acte de mariage de Françoise LACROIX avec Jean Pierre JAMIN.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – Joué-Étiau – Naissances, mariage, décès – 1809 / 1835 – 6E164/13 – vue 106 sur 391)

   Charles LACROIX épouse Marie GOURICHON le 9 novembre 1818 à Gonnord.

« sont comparus Charles Lacroix tisserand garçon majeur âgé de
trente un ans né commune de Tigné en ce département le vingt-trois octobre mil
sept cent quatre-vingt-sept ainsi qu’il est constaté par acte de naissance délivré
par monsieur le maire de Tigné le vingt-deux décembre mil huit cent six signé
Poitou maire, fils légitime du deffunt François Lacroix en son vivant cultivateur
décédé le vingt-cinq mai mil sept cent [quatre-vingt] quatorze ainsi qu’il est constaté par
certificat cy dessous dénommé des sieurs Mathurin Gourdon, de Mathurin Maurin,
René Goujon, Pierre Thomas, Laurent Besson, Jean René Robin, Louis Joseph
Gourichon, tous les sept demeurant bourg et commune de Gonnord, qui certifie
avoir vu le nommé François Lacroix mort et massacré par les troupes
républicaines sur le champ de bataille [ ] »

Acte de mariage de Charles LACROIX avec Marie GOURICHON.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – Gonnord – Naissances, mariage, décès – 1814 / 1820 – 6E153/20 – vue 109 sur 162)

   Selon les écrits de ces registres, François LACROIX pourrait faire partie des nombreuses victimes des colonnes infernales qui, de janvier à mai 1794, ont balayé les territoires insurgés en Maine-et-Loire, dans la Loire-Inférieure, la Vendée et les Deux-Sèvres. Ces troupes étaient des colonnes incendiaires qui avaient pour ordres d’ « exterminer tous les brigands ayant participé à la révolte, femmes et enfants inclus, faire évacuer les populations neutres ou patriotes, saisir les récoltes et les bestiaux, incendier les villages et les forêts. » (8)  Gonnord fait partie des nombreuses communes touchées (9).
   À seulement 41 ans, François est-il décédé à Gonnord même ? Rien ne permet de l’affirmer puisque les registres de la commune et celles alentours sont manquants pour l’année 1794. Par contre, contrairement à Michel pour lequel il est impossible de savoir dans quel camp il était, François, lui, ayant été massacré par les troupes républicaines, devait faire partie des insurgés royalistes ou être supposé comme tel.

   Pour finir, parlons du cas de mon ancêtre direct, Jacques LACROIX (Sosa 148).
   Il voit le jour le 27 février 1747 à La Fosse-de-Tigné. Dans cette même commune, il épouse Catherine TOURET le 2 juillet 1770. Malgré leur patronyme identique, cette dernière n’est pas de la même famille que sa belle-mère : cela complique juste un peu les choses, il ne faut pas se mélanger les pinceaux. Voilà pourquoi je vous remets un petit schéma familial.
   Jacques et Catherine auront sept enfants, mais seul l’acte de mariage de leur unique fille, Catherine née en 1779, donne une indication au sujet du décès de mon aïeul.

   Catherine LACROIX se marie avec Jacques BERNIER le 5 juin 1813 à La-Fosse-de-Tigné.

« [ ] et Catherine La Croix fille majeure
auriginaire de cette commune et y demeurante âgée de trente-quatre ans, fille
des defunts Jacques La Croix affirmé par les quatre témoins mort dans le
temps de la Guerre de la Vendée sans savoir le lieu où il est décédé [ ] »

Acte de mariage de Catherine LACROIX avec Jacques BERNIER.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – La Fosse-de-Tigné – Naissances, mariage, décès – 1807 / 1822 – 6E142/6 – vue 60 sur 111)

   En réalité, Jacques LACROIX est décédé à Saumur le 10 frimaire an II, c’est-à-dire le 30 novembre 1793, comme en témoigne son acte de décès.

« Aujourd’huy dix frimaire de l’an deux de la République française
une et indivisible onze heures du matin devant moy Joseph Paul
Cailleau le jeune membre du conseil général de la commune de
Saumur nommé provisoirement par délibération dudit conseil
du quatre octobre dernier à l’effet de constater les actes de naissance,
mariage et décès des citoyens est comparu à la maison commune
le citoyen Nicolas Lagofin greffier de la maison d’arrêt faisant
pour le citoyen Jean Bouchard concierge de laditte maison d’arrêts
située en la section de l’unité lequel a déclaré que ce matin est

décédé en la maison d’arrêt le citoyen Jacque La Croix de la paroisse
de La Fosse âgé de cinquante ans lequel décès j’ay vérifié.

Les témoins sont René Grosbois et Augustin Pasquier
infirmiers de la maison d’arrêt majeurs et qui ont déclaré ne
scavoir signé fors [sauf] le déclarant qui a signé avec moy.
[signé :] Lagofin, Cailleau Le jeune. »

Acte de décès de Jacques LACROIX.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – état civil – Saumur – Décès – 1793 (2 juillet) / an II (20 germinal) – 6E328/89 – vue 66 sur 187)

   Selon ce registre, Jacques LACROIX a trouvé la mort dans une geôle de la Tour Grenetière à Saumur, dont Jean Bouchard était le concierge. En effet, à la Révolution française, cet ancien grenier à céréales, d’où son nom, était devenu une prison pour les soldats de l’armée catholique et royale. Comme son frère François, Jacques faisait à priori partie des insurgés. Cela lui a coûté la vie à seulement 46 ans.

   Ainsi s’achève l’histoire de la fratrie LACROIX de mon sextaïeul, où l’Histoire de France s’invite dans celle de ma famille.

Notes :