Micmac chez les sœurs LACROIX !

   Aujourd’hui, je vais vous conter l’histoire de mon arrière-arrière-arrière-grand-mère, Jeanne LACROIX, ou pour faire plus simple et plus court, de ma Sosa n°37. Plus simple, plus simple, mais c’est quoi un Sosa me direz-vous ?

   Eh bien, le Sosa ou Sosa-Stradonitz (du nom de ses inventeurs) est un nombre unique permettant d’identifier vos ancêtres directs.
   La numérotation débute avec le numéro 1, que l’on associe à la personne à partir de laquelle on va réaliser l’arbre généalogique. Ce sera généralement vous, et on vous donnera le doux nom de de-cujus (terme venant de Is de cujus successione agitur, c’est-à-dire celui de la succession duquel on traite).
   Votre père portera le numéro 2 (votre Sosa 1 multiplié par 2), et votre mère aura la Sosa 3 (le vôtre multiplié par 2 plus 1). Ensuite, pour chaque ascendant, le mécanisme de multiplication se répète avec les nombres pairs pour les hommes et les impairs pour les femmes.

   Commençons notre récit par les parents de Jeanne, Charles LACROIX et Jeanne CHALOPIN, respectivement mes Sosa 74 et 75.

   Ils ont eu six enfants, dont des jumeaux en 1809, Jean et Louis, qui décèderont un an plus tard, à une semaine d’intervalle.
   Seuls les quatre aînés atteindront l’âge adulte, dont mon aïeule Jeanne, qui, comme souvent à cette époque pour la première fille née, porte le prénom de sa mère.

   Jeanne LACROIX voit le jour à la Fosse-de-Tigné (Maine-et-Loire), le 12 messidor de l’an VII, date du calendrier révolutionnaire correspondant au 30 juin 1799 de notre calendrier grégorien.

   Mais qu’est-ce que le calendrier révolutionnaire ? Il est également appelé calendrier républicain, et fut créé pendant la Révolution française pour rompre avec le calendrier grégorien lié à la monarchie et au christianisme. Il débute théoriquement le 1er vendémiaire an I (22 septembre 1792), mais n’entre en vigueur que le 15 vendémiaire an II (6 octobre 1793), et sera utilisé jusqu’à la fin 1805. (source Wikipédia – Calendrier républicain)
   Ce calendrier comprend un nouveau découpage des années, de nouveaux noms pour les mois et les jours, ce qui complique quelque peu les recherches dans les registres d’état civil. Un conseil : gardez toujours près de vous un tableau de correspondance des dates entre les calendriers républicain et grégorien, sinon vous pourriez bien perdre le fil de vos investigations.

   Trêve de parenthèse, revenons maintenant à notre sujet d’études.
   Jeanne LACROIX épouse Jean BOUTIN le 16 septembre 1834 à la Fosse-de-Tigné. Clin d’œil du destin, Jean étant né le 27 messidor de l’an VII, dans la même commune que Jeanne, leurs actes de naissances sont l’un en face de l’autre dans le registre d’état civil.

Actes de naissance de Jeanne LACROIX et Jean BOUTIN
(Archives départementales de Maine-et-Loire –état civil – La Fosse-de-Tigné – cote 6 E 142/4 – vue 62 sur 70)

   Jeanne donne naissance à quatre enfants : Marie en 1836, Louise en 1840, Louis en 1841 (qui se fera appeler Jean comme je l’ai expliqué dans mon article « La sépulture retrouvée ») et Célestine en 1843.

   La vie suit son cours, avec ses joies et ses peines. En 1860, Marie BOUTIN donne naissance à un enfant naturel, et elle se marie l’année suivante. Sa mère, Jeanne LACROIX, est absente le jour des noces pour cause de maladie. Célestine BOUTIN, quant à elle, décède, célibataire, le 10 avril 1863 à Tigné (Maine-et-Loire).

   C’est à partir de cette année 1863 que tout se bouscule dans mes recherches avec quatre actes d’état civil pour le moins surprenants :

  • Le 13 avril 1863, Marie LACROIX, née le 17 ventôse an XI (c’est-à-dire le 8 mars 1803), à la Fosse-de-Tigné, fille de Charles LACROIX et Jeanne CHALOPIN, décède à Tigné, et elle est déclarée comme femme de Jean BOUTIN.
  • Le 15 mars 1864, Jean BOUTIN, veuf de Marie LACROIX, décède à Tigné.
  • Le 24 novembre 1867, Louis BOUTIN, né en 1841, se marie, il est alors le fils de Jean BOUTIN et Marie LACROIX.
  • Le 3 mars 1932, le même Louis BOUTIN décède, et là encore, il est le fils de Marie et non de Jeanne.

Acte de décès au nom de Marie LACROIX – 13 avril 1863.
(Archives départementales de Maine-et-Loire –état civil – Tigné – 1863 / 1872 – cote 6 E 348/13 – vue 17 sur 223)

Acte de décès de Jean BOUTIN – 15 mars 1864.
(Archives départementales de Maine-et-Loire –état civil – Tigné – 1863 / 1872 – cote 6 E 348/13 – vue 39 sur 223)

   Cela donne bizarrement l’impression que Marie a remplacé Jeanne ! Que s’est-il passé ? Jean aurait-il épousé Marie après le décès de Jeanne, décès que je n’ai pas trouvé pour le moment ? Y aurait-il eu des erreurs dans les actes d’état civil, une confusion entre les deux sœurs, Jeanne et Marie ?

   C’est dans un cas comme celui-ci qu’il ne faut surtout pas se limiter aux actes d’état civil pour ses recherches familiales. Ici il est question de décès, il y a donc possiblement des successions, et par conséquent des actes associés dans les archives notariales. Mais rien n’est sûr, il faut avoir la chance que vos ancêtres aient quelques biens à léguer. Par bonheur, ce fut le cas ici.

   Il existe bien un acte de déclaration des mutations par décès, daté du 9 septembre 1863, et il est au nom de Jeanne LACROIX. Dans ce document, elle est bien l’épouse de Jean BOUTIN, ayant pour héritiers Jean (né Louis, déclarant du présent acte), Marie et Louise, ses enfants survivants. Ils se partageront la moitié des biens de la communauté des époux puisqu’il n’y a ni contrat de mariage, ni testament.

« n°158
s(uccessi)on directe
de
Lacroix Jeanne
f(emme) Boutin, décédée
à Tigné, le 8 avril 1863
[ ]

Du neuf septembre 1863
Est comparu Jean Boutin, domestique à Trémont,
lequel a déclaré ce qui suit :
Jeanne Lacroix, épouse de Jean Boutin, cult(ivateu)r
à Marmande, c(ommu)ne de Tigné, y est décédée Intestat (
1) le

huit avril dernier, laissant pour héritiers [ ] »

Extrait de la déclaration des mutations par décès de Jeanne LACROIX.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – Déclarations de mutation par décès – bureau de Vihiers – cote 3Q16671 (17/12/1862-25/11/1863), page 82, acte n°158)

   Un écart subsiste toutefois entre cet acte, où il est noté que la défunte est décédée le 8 avril, et l’acte de décès qui indique le 13.

   De même, il existe un acte de déclaration des mutations par décès daté 24 août 1864, au nom de Jean BOUTIN. Dans ce texte, Jean est décédé le 15 mars 1864, et il est bien veuf de Jeanne LACROIX et non de Marie comme noté sur son acte de décès.

« n°155
Boutin (Jean)
décédé à Tigné,
le 15 mars 1864
Directe
[ ]

Du vingt-quatre août 1864
a comparu Jean Boutin domestique à
Marmande commune de Tigné, …
Lequel a fait la déclaration suivante
Jean Boutin cultivateur à Tigné y est
décédé ab intestat (2) le quinze mars 1864, veuf de
Jeanne Lacroix. »

Extrait de la déclaration des mutations par décès de Jean BOUTIN.
(Archives départementales de Maine-et-Loire – Déclarations de mutation par décès – bureau de Vihiers – cote 3Q16672 (25/11/1863-12/10/1864), page 77, acte n°155)

   À la vue de ces deux derniers documents, l’hypothèse la plus plausible, au sujet de l’acte de décès au nom de Marie LACROIX, serait une erreur faite par l’officier d’état civil. En effet, au moment de la déclaration du décès, l’officier a pu rechercher l’acte de naissance de la défunte en remontant dans les registres, et prendre, par mégarde, le premier acte trouvé, c’est-à-dire celui de Marie. Pour ce qui est de l’acte de décès de Jean BOUTIN, veuf de Jeanne, il y a peut-être eu tout simplement une reprise des éléments de l’acte de 1863, et donc une recopie des informations erronées.

   Finalement, c’est bien Jeanne LACROIX qui est décédée le 13 (ou le 8) avril 1863 à Tigné.

   Mais alors, qu’en est-il de sa petite sœur Marie ?

   Marie LACROIX naît le 27 ventôse an XI (c’est-à-dire le 18 mars 1803) à La Fosse-de-Tigné.

   Elle épouse Jean François GAUDICHEAU le 29 juin 1829 à Montilliers.

   Marie donne naissance à leur premier enfant, prénommé Jean Maurice, le 3 septembre 1831 à Montilliers. Malheureusement, elle décède deux jours plus tard le 5 septembre 1831, sans doute des suites de son accouchement. Son mari est alors tisserand.

   C’est son fils Jean Maurice, bien évidemment mineur à ce moment-là, qui est déclaré comme héritier dans les tables de successions et absences pour Marie. Sur ce même document, on apprend que Marie était dévideuse (3), sans doute dans l’atelier de son mari.

   La vie n’est décidément par tendre avec cette famille puisque Jean Maurice ne survivra qu’un mois à sa mère, il décède le 6 octobre 1831 à Montilliers. Les actes de décès de la mère et du fils sont en vis-à-vis dans le registre.

Actes de décès de Marie LACROIX et Jean Maurice GAUDICHEAU.
(Archives départementales de Maine-et-Loire –état civil – Montilliers – Naissance, mariage, décès – 1823 / 1832 – cote 6E211/92 – vue 146 sur 182)

   Ainsi s’achève l’histoire des sœurs LACROIX, Jeanne et Marie, où il m’a fallu démêler le vrai du faux. Morale de cette enquête : l’état civil c’est bien, d’autres sources pour compléter, vérifier, recouper les données, c‘est mieux !

Notes :

  • (1) – intestat : qui n’a pas fait de testament.
  • (2) – ab intestat : sans testament.
  • (3) – dévideuse : femme qui confectionne des écheveaux à partir des bobines sur un dévidoir (sources Wikipédia : dévidagedévideusedévider)