Challenge Upro-G – juin 2023 – un curé blogueur
cturpault | Publié le |
À froid, le thème du mois, « un curé blogueur », n’est pas très évident me direz-vous ! Le blogueur est celui qui, sur internet, s’exprime et diffuse des informations sur des sujets qui le passionnent. En mettant l’aspect web de côté, car on s’intéresse ici à des archives anciennes, il est alors question de curés qui, autrefois, mettaient des observations météorologiques, ou autres de la vie quotidienne, par écrit dans les registres paroissiaux.
Maintenant, faut-il encore en trouver !
Eh bien quelques fois, il suffit d’avoir un peu de chance. Au hasard de mes recherches pour mon article sur une cloche du challenge de janvier, j’ai découvert une note, à la fin du registre paroissial de Saulnay dans l’Indre, du curé Antoine-Nicolas de LA COUX DE MESNARD, au sujet d’une inondation.
Il est noté, dans l’exemplaire du registre paroissial des archives communales de Saulnay, en fin d’année 1770, que :
« Le 25 9bre (novembre) dernier il y at eu une inondation telle
qu’on ne l’a jamais vue par une pluye de troys heures l’eau
est montée jusqu’aux murs de la cour de la cure. »
Le texte est succinct, et heureusement, aucune victime n’est à déplorer à priori.
Dernières pages du registre paroissial de Saulnay, exemplaire des archives communales, de l’année 1770.
(Archives départementales de l’Indre – état civil – Saulnay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1692 / 1770 – cote 212/AC01 – vue 216 sur 261)
Dans ce cas précis, il est amusant de voir que l’ecclésiastique a fait une petite entorse à la législation de l’époque en ne réalisant pas une copie stricte de son registre pour le greffe.
En effet, depuis avril 1667, l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, appelée aussi Code Louis, prescrit une tenue obligatoire des registres paroissiaux en deux exemplaires : la minute (l’original) est conservée par le curé, la grosse (copie) doit obligatoirement être déposée chaque année au greffe du bailliage, ceci pour éviter les fraudes et pouvoir pallier la destruction d’un des deux exemplaires. La copie doit être conforme en tout point à l’original.
Dans la copie du greffe du même registre paroissial, on retrouve bien les six actes présents dans l’original. Par contre, le dernier paragraphe est différent : exit les trois lignes de récit au sujet de l’inondation, on voit le retour de tournures bien plus académiques.
« Je curé soussigné certifie que le présent registre
contient tous les actes de baptêmes mariages et sépultures
qui ont été faict la présente année et qu’il est conforme
à l’original. Je certifie en outre avoir publié lédit d’enry
aux quatre temps de l’année. à Sau(l)nay. le trente un
décembre mil sept cent soixante dix
Delacoux Demesnard Curé »
Dernières pages du registre paroissial de Saulnay, exemplaire de la collection du greffe, de l’année 1770.
(Archives départementales de l’Indre – état civil – Saulnay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1733 / 1792 – cote 3E212/02 – vue 227 sur 382)
L’expression « lédit d’enry », qui interpelle dans l’extrait précédent, est plus explicite quelques pages plus loin dans le même registre en fin d’année 1783 :
« je, soussigné, certifie à tous qu’il
appartiendra, avoir publié aux différents
quatre temps de l’année lédit d’Henri
deux concernant les femmes et filles
de mauvaise vie qui cachent leur
grossesse. à Sau(l)nay le premier
janvier mil sept cent quatre
vingt-quatre : / / : Thomas curé de
Sau(l)nay
Le présent registre
contient vingt-neuf sépultures, vingt
un baptêmes, et six mariages
Sep.29 – Bapt. 21 ; Mar. 6 »
Dernières pages du registre paroissial de Saulnay, exemplaire de la collection du greffe, de l’année 1783.
(Archives départementales de l’Indre – état civil – Saulnay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1733 / 1792 – cote 3E212/02 – vue 317 sur 382)
Il est question ici de l’édit d’Henri II, de février 1556, obligeant chaque femme non mariée et les veuves à déclarer leur grossesse. Cette mesure avait pour but d’éviter les avortements, les infanticides, les abandons, les enfants nés sans baptême et enterrés en terre non consacrée.
Les curés et vicaires avaient obligation de rappeler cet édit à la fin de chaque messe, tous les trois mois, c’est-à-dire « aux quatre temps de l’année ». Nul ne pouvait donc ignorer la loi. En cas de suspicion d’infanticide, la contrevenante, n’ayant pas déclaré sa grossesse, était condamnée à mort.
Il faudra attente la Révolution française pour que la déclaration de grossesse disparaisse.
Mais revenons à notre inondation de 1770. Y aurait-il des récits similaires dans la région pour cette même période ?
Eh bien oui, le 29 novembre 1770, à environ 70 kilomètres de Saulnay, le curé VEIGNAULT, de la commune de Romorantin-Lanthenay dans le Loir-et-Cher, témoigne également d’évènements météorologiques extrêmes dans son registre paroissial. Son récit très détaillé est inséré au milieu des actes de baptêmes, mariages et sépultures, et il est présent dans les deux exemplaires du registre paroissial.
Vue de l’original du curé
Pages du registre paroissial de Romorantin-Lanthenay de l’année 1770 – original du curé.
(Archives départementales du Loir-et-Cher – état civil – Romorantin-Lanthenay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1769 / 1771 – cote GG 194/70 – vue 94 sur 142)
Vue de la copie du greffe
Pages du registre paroissial de Romorantin-Lanthenay de l’année 1770 – copie du greffe.
(Archives départementales du Loir-et-Cher – état civil – Romorantin-Lanthenay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1770 – cote 4E194/31 – vue 41 sur 47)
Ces deux versions permettent une transcription complète de l’acte relatant les évènements :
« innondation
extraordinaire
du 26 de 9bre (novembre) 1770
ou
débordement
inouï
de la
Rivière
de
Sau(l)dre
Le 26 9bre (novembre)
1770
Le jeudi vingt-neuf novembre a fini l’inondation
extraordinaire, et qui ne s’étoit jamais vue, de la rivière de
cette ville, commencée et venue tout d’un coup le lundi vingt
six sur les onze heures du soir. On peut la regarder comme
une espèce de déluge. C’étoit un vrai torrent dans toutes les
rues de l’ile Marin et du Bourgeau. Il étoit si rapide entre
l’église et le mur de la cure, qu’il a accumulé devant la porte
un tas surprenant de pierres parmi lesquelles il y en a d’aussi
grosses qu’un quart. Si ce mur de la cure étoit tombé, et il s’en
est peu manqué, le presbitère et ceux qui étoient dedans, auroient
péri. Il y avoit environ quatre pieds d’eau dans la place autour
de la croix, et cinq au moins en certains endroits. Elle étoit à
proportion dans les maisons et dans l’église. Les deux ponts
ont été renversés, plusieurs maisons entièrement détruites, le
moulin de la ville emporté, sept personnes noyées. On voit
cy après l’inhumation de six ; le septième qui est le meunier
du moulin du chapitre n’est pas encore trouvé. La perte
d’animaux, vins, eaux de vie, huiles, meubles et autres effets est
très considérable. Celle de la campagne ne peut s’évaluer. On
ignore la vraie cause de cette inondation. Il est vrai que
tout le lundi il y eut une pluie très forte et continuelle ; mais
elle n’étoit pas capable de causer une inondation si prompte
et si grande pendant tant de temps. Le service divin a cessé dans
l’église à cause de l’humidité, de l’ouverture des tombeaux et de
la mauvaise odeur qui pourroient causer des maladies
populaires. Quatre chanoines qui demeurent en ville
psalmodient leur office à S(ain)t Martin. La messe de paroisse dira
demain fête de S(ain)t André ; à l’hôtel Dieu il en sera de même
dimanche. Les choses iront fort mal jusqu’à la reconstruction des
ponts qui ne sauroit être prompte. Ce malheur concourt avec la
plus triste année où le blé a valu jusqu’à 9 l(ivres) t(ournois) 5 s(ols) le boisseau.
Il s’est tenu à l’hotel de ville pendant tout cet accident une
assemblée de personnes en place qui ont signalé leur zele en
procurant promptement au public les secours nécessaires en
pareille circonstance. Adorons ici la volonté de Dieu. VEIGNAULT curé. »
Une carte, certes datée de 1820, présente bien la topographie du lieu. Le centre de la ville est situé sur l’île Marin, entourée par deux bras de la rivière Sauldre. On y voit l’église, la place, le presbytère, le faubourg du Bourgeaut. Une autre carte m’a permis de situer le moulin du Chapitre avec lequel le malheureux meunier a été emporté.
Extrait du plan général de la ville de Romorantin divisé en sept feuilles, par Lamary géomètre de Saint-Aignan, 1820.
(Archives départementales du Loir-et-Cher – Cartes et plans – Romorantin-Lanthenay – cote 1 Fi 184/1)
Le corps du meunier, Pierre Joseph COUGNET, sera retrouvé le matin du 3 décembre 1770 à la pointe de l’île, près du pont de bois. Il sera inhumé le même jour sous les galeries du grand cimetière. Il avait environ soixante ans et était l’époux de Marie Anne HEMERY.
Comme pour les six autres victimes, il est noté dans l’acte qu’il a été « submergé ces jours derniers dans le débordement affreux de la rivière ».
Acte d’inhumation de Pierre Joseph COUGNET – original du curé.
(Archives départementales du Loir-et-Cher – état civil – Romorantin-Lanthenay – Baptêmes, mariages, sépultures – 1769 / 1771 – cote GG 194/70 – vue 95 sur 142)
Par ces quelques mots, le curé retranscrit encore une fois l’émotion vécue. Ainsi, les registres paroissiaux ne sont pas que des successions d’actes religieux, ils renferment également des témoignages précieux de la vie de nos villes, nos villages et de nos ancêtres.