Qu’est-il arrivé à l’épouse de Jules ?

   Quand on débute la généalogie de sa famille, le but du jeu, qu’on se l’avoue ou non, c’est de remonter le plus loin possible à travers les époques. Qui n’a jamais rêvé d’être un descendant de Charlemagne !
   Bon, on ne va pas se mentir, à moins de descendre d’une famille noble et/ou puissante, je vous arrête tout de suite, c’est compliqué, voire impossible, de remonter autant le temps. Personnellement, je suis bloquée fin XVIème, début XVIIème, selon les branches, et je trouve que ce n’est déjà pas mal pour une famille de simples journaliers (1), sans terre ni fortune.

   Et après, c’est bien joli de connaître les noms des ancêtres ayant vécu sous le règne d’Henri IV, mais qu’en est-il de ceux bien plus proches de nous ?
Après un bilan de mes connaissances familiales, j’ai commencé à regarder de plus près la vie de mes grands-parents, puis celles de leurs parents. Et là, surprise, il me manque le décès d’une de mes arrière-grands-mères maternelles se prénommant Marie Louise. Aucune trace de sa sépulture, et, d’après ma maman, ma grand-mère n’a jamais parlé de sa mère. C’est donc reparti pour une nouvelle enquête !

   Avant de commencer, replaçons les protagonistes principaux de ce récit dans un arbre simple, avec quelques données datées :

  • Jules et Marie Louise, les parents (mes arrière-grands-parents),
  • Jeanne, Marthe (ma grand-mère) et Marcel, leurs enfants ayant atteint l’âge adulte,
  • Marius, le fils aîné de Jeanne.
schéma famille

   Dans cette quête du décès de Marie Louise, mon premier réflexe fut d’étudier le décès et l’inhumation de son époux, Jules. Rien de bien difficile pour moi puisque sa tombe m’est connue depuis toute petite, dans le cimetière de Martigné-Briand (Maine-et-Loire). Il n’y a pas de grand monument, un simple entourage de béton, ce qui n’est pas choquant pour un maçon de métier, et une croix. Il n’y a pas d’inscription puisque ma grand-mère était contre. Jules est mort en mai 1935, dans la commune où il repose, selon la légende familiale en s’étouffant à table.

   Son acte de décès mentionne qu’il est l’époux de Marie Louise, elle n’est pas déclarée décédée, mais aucun domicile n’est noté. En septembre de la même année, Marthe se marie avec Gaston, et lors de cet évènement, elle indique que ses deux parents sont décédés. Marie Louise serait donc morte entre mai et septembre 1935, mais où ?

Tombe de Jules
Cimetière de Martigné-Briand (Maine-et-Loire)
(photo personnelle)

   L’étude des registres de la commune et des environs ne donnant rien, je décide de reprendre les éléments dans l’ordre chronologique. Donc si vous le voulez bien, reprenons l’histoire au début…

   Tout commence par leur mariage le 14 septembre 1895 à Mûrs-Érigné (Maine-et-Loire). Jules est un tailleur de pierre de 31 ans, natif de Bazouges (Mayenne). Marie Louise est une sarthoise née en 1870, à Dissé-sous-le-Lude, sans profession.

   Ils s’installent tous deux à Angers, et moins d’un mois après leur union, Marie Louise donne naissance à Jeanne.
   Naissent ensuite Renée en 1896, Jules en 1898, et Léon en 1900. Malheureusement, ces trois enfants ne vivront pas plus d’un an chacun.

   En 1903 et 1904, la vie semble enfin sourire au couple lorsque Marie Louise met au monde Marthe et Marcel. Toutefois, il y a une ombre au tableau puisque qu’au moment de ces deux naissances, Jules, qui est devenu maçon, est absent pour affaires.
   En 1911, la petite famille vit encore à Angers, au 26 rue Parcheminerie.

petit Jules

Mon arrière-grand-père, Jules dit « petit Jules »
Photo prise par sa fille, Marthe, ma grand-mère.
(photo personnelle)

   C’est au début de la Première Guerre mondiale que la famille semble se disloquer.
   D’après les listes électorales, Jules vit à Angers jusqu’en 1912, puis part en 1913.
   En 1915, Marthe est retirée de l’école pour être placée dans une ferme. La même année, sa mère assiste sa sœur aînée, Jeanne, lors de la naissance de Marius (voir l’article « L’enfant inconnu sur une photo… »).

   Dans l’acte de reconnaissance de son petit-fils, il est noté que Marie Louise est l’épouse de Jules, et qu’elle est ménagère aux Ponts-de-Cé. Après enquête, il n’y a aucune trace de la famille dans cette ville, mon arrière-grand-mère y vit à priori seule.

Extrait de l’acte de reconnaissance de Marius
(Archives Municipales d’Angers – État Civil – 2ème arrondissement – 1915 – acte n°100)

   Et c’est également seul que Jules réapparait en 1926 à Martigné-Briand, habitant dans le Bourg. Il a rejoint dans cette commune sa fille, installée elle depuis 1921. Comme relaté précédemment, il y finit sa vie, et décède quatorze ans plus tard.

Mais où est donc Marie Louise ?

   Moment de découragement car je n’ai plus de piste à suivre. Et là, miracle des bases collaboratives (qu’il faut consulter régulièrement), je retrouve le patronyme de mon arrière-grand-mère indexé dans le journal d’inhumation d’un cimetière…parisien !? Est-ce vraiment elle ou un homonyme ? Les deux prénoms correspondent, et les informations transcrites dans l’acte de décès me confirment bien que c’est ma Marie Louise : date et lieu de naissance, noms des parents sont bien identiques à son acte de naissance.
Il me suffit maintenant de remonter le fil de sa vie et d’en reconstituer une partie, étonnamment à partir de 1926 comme pour Jules.

   Donc, contre toute attente, Marie Louise réapparaît en 1926 à Paris, dans le 10ème arrondissement. Elle y partage un appartement avec Pierre, un aveyronnais marchand d’habits, de huit ans son aîné, veuf depuis 1918.

 Ouvrons une petite parenthèse pour relater un peu l’histoire de ce nouveau personnage.
De sa première union, Pierre n’a qu’une fille survivante, Marie Marguerite, qui se marie en 1919 avec un mécanicien américain, Earl Leroy. L’année suivante, Marie et Earl partent s’installer aux États-Unis, où ils vivent dans la famille de ce dernier, et travaillent dans une fabrique de cigares.

Extrait du recensement de la famille d’Earl en 1920 à Findlay, Ohio, USA
(Family Search – Recensement – 1920 – Findlay, Ohio, USA – vue 5 sur 26)

   Plus aucune trace de Marie Marguerite après 1920, son mari apparaît seul dans le recensement de 1940 à Jackson (Michigan, USA). Il décède dans cette même ville en 1965. Marie est-elle déjà décédée ? Pas de réponse à ce jour à cette question, mais la suite des évènements semble indiquer qu’elle ne serait pas rentrée en France non plus.

   En effet, son père, Pierre, décède le 8 mai 1940 à l’hôpital Tenon de Paris (20ème). Il est toujours domicilié dans son appartement du 10ème, déclaré comme veuf d’Anne Marie, sa première épouse. Aucune mention n’est faite de Marie Louise qui, même si elle vit sous le même toit que lui, n’a aucune existence aux yeux de la Loi. Il est inhumé le 10 mai 1940 dans le cimetière parisien d’Ivry (Val-de-Marne), dans une concession gratuite. L’absence d’héritier lors de la succession laisse à penser que sa fille Marie Marguerite est soit absente, soit décédée à ce moment-là.

   La même année, le 21 décembre, Marie Louise est hospitalisée à son tour, mais à la Salpêtrière, à Paris (13ème). Malgré le décès de Pierre, elle habitait toujours leur appartement dans le 10ème arrondissement.

   Elle décède le 30 août 1943 à l’hôpital pour cause de sénilité. Que ce soit dans le registre des décès de l’hôpital ou dans son acte de décès, elle est déclarée comme célibataire, les personnes présentes ne connaissaient pas à priori sa vie antérieure. Son acte de naissance ne pouvait pas non plus les renseigner puisque les mentions marginales de mariage n’existent que depuis le 17 août 1897 (art.76 du Code Civil).

Extrait du registre des décès de La Salpêtrière – enregistrement de Marie Louise
(Archives AP-HP – Hôpital La Salpêtrière – Registre des décès – cote SLP/3/Q/2/107, enregistrement n°1160)

   Légalement seule au monde et sans bien, Marie Louise n’a pas de succession. Elle fut inhumée le 4 septembre 1943 dans le cimetière parisien de Thiais (Val-de-Marne), appelé également le « cimetière des pauvres ». Sa tombe était une sépulture individuelle de terrain commun référencée 1371 GT 1943, située division 14, ligne 2, d’une durée non renouvelable de cinq ans. Susceptible d’être reprise à tout moment par l’administration à partir du 5 septembre 1948, la sépulture l’a été et n’existe plus aujourd’hui. La date de reprise et la destination des restes mortels de la défunte sont malheureusement inconnues.

   Ainsi s’achève l’histoire de Jules et surtout celle de Marie Louise, reconstituée à partir d’un simple nom indexé dans un journal d’inhumation. Elle n’est pas décédée en 1935, comme le laissait croire l’acte de mariage de ma grand-mère, mais huit ans plus tard en pleine Seconde Guerre mondiale, et bien loin du Maine-et-Loire. Ses enfants l’ont-ils su ? C’est peu probable, et nous ne le saurons sûrement jamais. Ont-ils été séparés par la Grande Guerre, ou Marie Louise a-t-elle quitté un époux souvent absent ? Là aussi l’énigme reste entière.

   Malgré toutes ces interrogations sans réponse, je suis heureuse de l’avoir retouvée, cette arrière-grand-mère oubliée. C’est la magie des enquêtes généalogiques, mettre en lumière le passé de nos ancêtres, et ainsi les faire revivre pour l’éternité…

Notes :

  • (1) – journalier : ouvrier, ouvrière agricole payé(e) à la journée. Source: Dictionnaires Le Robert.